Cette pièce est tout à la fois trois rencontres : deux écrivains, deux siècles, deux genres, roman /théâtre.
Jacques et son maître est publié en 1981.
« Jacques et son Maître n’est pas une adaptation ; c’est ma propre pièce … mon hommage à Diderot… Jacques le fataliste est l'un des romans que j'aime le plus ; tout y est humour, tout y est jeu ; tout y est liberté et plaisir de la forme », « (Il) concentre tout ce que la France a perdu et refuse de retrouver » déclare Kundera …
Les premiers mots de l’œuvre de Diderot constituent d’une certaine manière le leitmotiv de la variation offerte par Kundera :
« Comment s’étaient-ils rencontrés ? Par hasard, comme tout le monde. Comment s’appelaient-ils ? Que vous importe? D’où venaient-ils ? Du lieu le plus prochain. Où allaient-ils ? Est-ce que l’on sait où l’on va? Que disaient-ils ? Le maître ne disait rien ; et Jacques disait que son capitaine disait que tout ce qui nous arrive de bien et de mal ici-bas était écrit là-haut. »
(Extrait de Jacques le fataliste et son maître, incipit.)
La pièce reprend les éléments essentiels de l’histoire originale, tout en renouvelant la forme.
La base du récit : un maître et son valet en voyage, au hasard des chemins. Qui sont-ils ? On l’ignore. Ce qui les conduit, c’est le récit que chacun fait de ses aventures féminines. Pas d’unité d’action mais trois histoires d’amour : celle du maître, celle de Jacques, celle de Mme de la Pommeraye racontées par Jacques et son maître, mais aussi par l’aubergiste, le Marquis des Arcis… . Histoires entremêlées, sans lien chronologique. De plus, les personnages-narrateurs s’interrompent, digressent à l’infini et devisent avec naturel et malice.
Ainsi, nul réalisme ni étude psychologique (d’où l’anonymat des personnages), ni contexte défini. Les hommes décrivent les femmes comme des objets de plaisir avec amoralité et sexisme, dirait-on, aujourd’hui, mais rien n’est à prendre au sérieux : infidélités, mensonges, complots, sont écrits sur un mode comique. Jacques avec son franc-parler populaire titille le désir de son maître : « elle avait un de ces culs ! », dit-il avec une gestuelle suggestive. Mais Jacques se pique aussi de philosophie, selon son humeur, et avec la naïveté de son ignorance, il pose l’énigme de la détermination et du destin, de sa responsabilité ou de celle de leur géniteur, l’écrivain : comme Dieu, il tirerait les ficelles des évènements ?… Alors un halo de mélancolie tempère et suspend la joie épicurienne, essence même de ces variations romanesques. |